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Adiu, l’amic

Adieu, l’ami

Serge Javaloyès

Le vendredi 26 mai, Eric, tu nous as quittés, là-bas, à côté de Guéret en Creuse où tu t'étais installé il y a trois ans. Nous nous appelions tous les jours et ce jour de mai trop chaud, on m'informa de ton départ. La mort t’attrapa bien tôt alors que tu pensais vivre jusqu'à Noël comme tu me l'avais dit au début du printemps. C’est vrai, tu savais tout, et tu avais confié ton âme à Dieu pour contenir l’inexorable. Maintenant, je me demande où tu demeures là-bas au pays des mystères. Presque jusqu'au bout, tu as travaillé à ton corpus littéraire gascon dont tu voulais te servir pour ton projet de dictionnaire et de grammaire — tu l'avais déjà démarré sur le wikigram du site du Congrès permament de la langue occitane. Tu n'as jamais arrêté de travailler la langue depuis que nous nous sommes rencontrés en 1992 à Orthez où je travaillais alors. Tu m’avais raconté que tu étais né à Pau aux débuts des années 60 du vieux siècle, dans une famille humble, habitants de Gelos. Après la mort précoce et brutale de ta mère, tu fus élevé par Evelyne, ta tante et par tes grands-parents, primolocuteurs du béarnais comme on disait. La langue tu l'as entendue au berceau et tu ne l'abandonnas jamais. Ce fut ton ouvrage pendant 45 ans. Enfant, déjà, tu emplissais cahiers sur cahiers avec des mots, des expressions idiomatiques amassés ici ou là, lors de rencontres avec ceux dont c’était la langue quotidienne. Un trésor qui a nourri ta faim de connaissance de la langue occitane, dont tu fus vite un militant. Ton terrain de jeux et d'aventures, c’était la cité de la Tannerie à Gelos. Ce lieu d'herbes sauvages, de jardins ouvriers, à côté du gave de Pau, en face du château de Pau, qui serait le théâtre de ta publication, L'òrra istoèra d’un hilh de Gelòs, ton premier roman, grand prix de littérature occitane Jean Boudou en 1997. C’est en 1996 et 1997 que je devins ton élève fidèle. C'est toi qui m'incitas à écrire. C’est toi aussi qui trouvas le titre de mon premier roman, L'Òra de partir, que tu passas jusqu'au bout. L'òrra istoèra d’un hilh de Gelòs, roman courageux, urbain, marqua la littérature gasconne pour son originalité et sa modernité qui inspirerait, alors, un tas d'écrivains en herbe à démarrer sur le sentier ardu de la création littéraire. Un véritable coup de tonnerre sous le ciel de tes maitres, Julien Casabonne, Michel Camelat, Simin Palay et Gilbert Narioo. D'autres livres vinrent après : Lo Melic de Silvia Chasaus, Arantxa une chronique sur ton expérience à travers Euskadi, Isabèu de la valea — une merveille —, Las Tortoras un conte-roman, Dazibao un nouveau roman, Entermiei lordèras un nouveau recueil de nouvelles ; des traductions aussi dont L'Hygiène de l'assassin d'Amélie Nothomb et L'Étranger d'Albèrt Camus. Tu étais et tu demeures aujourd'hui un écrivain reconnu par la communauté des écrivains d'occitanie toute entière.

Tu fus, d’abord, professeur d'histoire et géographie puis certifié d'occitan — langue d'oc que tu enseignas des années de suite. En 1996, tu devins rédacteur en chef de la revue Reclams de l'Escòla Gaston Febus. Tu étais bien entendu un auteur secret, consciencieux, discret. Tu n’aimais pas les feux de la rampe et il fallait souvent que je t'asticotes pour que tu fasses ce qu'il fallait pour valoriser ton œuvre. C’est vrai, tu étais fragile: ton enfance douloureuse te pesait, et tu te tenais retiré du monde. Et cependant, tu avais des connaissances incroyables. Tu étais spécialiste de géopolitique et surtout du Proche-Orient qui subit ces derniers temps une nouvelle guerre. Tu connaissais l'anglais, l'espagnol, le catalan, l'italien, le serbo-croate, le swahili, etc. Il y a vingt ans, tu te mis à constituer un corpus linguistique et littéraire gascon exceptionnel. Depuis l’enfance, tu fus un ouvrier infatigable de la langue d'oc. Tu avais, quoiqu’en pensent les pisse-vinaigre, une compétence linguistique exemplaire. Ta volonté obstinée était de fabriquer un dictionnaire et une grammaire référentiels de l'occitan-gascon. Hélas, cette "saloperie" de cancer t'a fait barrage. Tu nous manques.

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